Par Jeff Yates
Passez-vous beaucoup de votre temps de travail sur Twitter ? Comme bien des journalistes, moi, oui. Le slogan du réseau social est « what’s happening » (« voici ce qui se passe »). Pas surprenant qu’il soit aussi populaire auprès des journalistes ultraconnectés. Par contre, il faut faire attention : ce qui se passe sur Twitter ne représente pas la réalité, comme le démontre une nouvelle étude de l’institut Pew.
Ce que je retiens de cette étude menée auprès d’un échantillon pondéré de près de 2800 utilisateurs de Twitter américains : quelque 80 % de l’activité sur le site est générée par seulement 10 % des utilisateurs. L’utilisateur médian de cette catégorie, celle des « superutilisateurs », « tweete » 138 fois par mois et a 387 abonnés. Quelque 81 % d’entre eux visitent le site chaque jour.
En contrepartie, l’utilisateur médian dans l’autre catégorie – réunissant les 90 % des utilisateurs qui ne génèrent que 20 % de l’activité sur Twitter – ne « tweete » que deux fois par mois et n’a que 19 abonnés. Seulement 47 % d’entre eux visitent Twitter de façon quotidienne.
Les « superutilisateurs » de Twitter sont plus jeunes, plus scolarisés, plus riches et plus portés à être à gauche de l’échiquier politique que l’Américain moyen. En d’autres mots, la conversation sur Twitter est dominée par une minorité d’utilisateurs qui ne ressemble pas à la population en général.
Bon, il s’agit d’un sondage américain, mais je ne serais pas surpris que la situation soit semblable au Québec.
Ça démontre en quelque sorte les pièges de la « course au retweet » dont sont bien souvent victimes les journalistes (coupable !). Souvent, nous regardons ce qui se passe sur Twitter pour prendre la mesure des conversations qui animent la société, pour voir « what’s happening », pour tâter le pouls de l’agora. Mais, au final, l’image de notre société que nous renvoie Twitter est déformée. Elle nous montre des conversations dominées par des personnes qui ne ressemblent pas tellement à la population at large.
À l’heure où bien des journalistes sont parés à sauter sur telle ou telle indignation du moment propulsée entre autres par Twitter, il y aurait lieu de se poser des questions. Si ça « trend » sur Twitter, est-ce que ça veut réellement dire que la population en général trouve ça important ? Vivons-nous, en tant que journalistes, dans une bulle Twitter ?
J’ai d’ailleurs participé à l’excellent documentaire Indignation, de la websérie Corde sensible, de Radio-Canada. Celui-ci se veut une sorte de radiographie de cette mode de l’indignation permanente, propulsée par les réseaux sociaux. Mes collègues Marie-Ève Tremblay et Julien Proulx en profitent pour poser des questions douloureuses par la bande : est-ce que la population se reconnaît dans la couverture médiatique ? Et, sinon, est-ce que ça pourrait expliquer une partie de la méfiance dont font l’objet les journalistes ?
Est-ce que le miroir brisé de Twitter influence notre couverture ? Est-ce que, au fond, on se parle seulement à nous-mêmes sur cette plateforme ? Il y a là une réelle réflexion à effectuer.
Depuis 2014, Jeff Yates a fait de la désinformation sur le Web sa spécialité journalistique. Après avoir créé le blogue Inspecteur viral au journal Métro – la première plateforme de démystification de fausses nouvelles virales issues d’un média d’information québécois – il est rapidement devenu une référence dans le domaine. Il est aujourd’hui chroniqueur à Radio-Canada.
Les propos reproduits ici n’engagent que leur auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.