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Depuis janvier 2018, vous retrouvez chaque semaine, à la fin de votre lettre InfoFPJQ, sous la plume de journalistes et chroniqueurs bien connus, un point de vue ou une analyse sur l’actualité médiatique.

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.

TROUVER SA « GANG »

Par Jean-Benoît Nadeau

Extrait exclusif en primeur du livre Écrire pour vivre, 2e édition 
(en librairie le 26 janvier 2020, Québec Amérique éditeur)

Il existe généralement deux approches pour entrer dans le métier : soit par du démarchage en personne, soit par la force de vos idées. En fait, pour être exact, ce n’est pas l’un ou l’autre, mais l’un et l’autre. Pendant toute votre carrière, vous devrez travailler vos contacts et vos idées. Mais comme il faut bien commencer quelque part et qu’il est probable que vos idées ne soient encore ni très claires ni très originales, il est quasiment acquis que vous faites le bon choix de commencer par essayer de convaincre quelqu’un de vous donner une chance et de vous mettre à l’essai.

J’aimerais vous dire qu’il faut commencer par les idées et tout le baratin. En vérité, c’est l’idéal. Mais quand j’y songe, ce n’est pas le chemin que j’ai pris au départ et j’en connais très peu qui ont commencé à ce niveau. Pour moi, ce qui a été déterminant les premières années a été de trouver une bonne tribu, une bonne famille, un bon club-école – appelez ça comme vous voudrez. J’ai donc envoyé une belle lettre au rédacteur en chef du Voir pour lui dire combien je trouvais sa publication fantastique, et que j’étais prêt, malgré mon inexpérience, à venir faire un stage gratis chez eux pendant quelques semaines.

Le Monde Merveilleux de l’Édition en général, et j’inclus là-dedans la sphère médiatique et celle de l’audiovisuel, a un point de ressemblance avec le secteur de la construction. Tout est organisé en tribus, entrecoupées de sous-groupes qui se parlent et qui échangent. Quand vous mettez le pied là-dedans, vous pouvez surfer longtemps et, si vous êtes chanceux, vous pouvez attraper une grosse vague.

Richard Martineau, que j’ai connu au Voir, avait débuté à L’Écho des transports : ses premiers reportages portaient sur les courses de camions ! Et moi, tout en continuant d’orbiter au Voir, j’ai fait des essais du côté de chez Plan, PME, Commerce, Téléromans – la plupart de ces avenues ont été des culs-de-sac, mais d’autres comme Commerce ont été d’excellents tremplins.

Le paysage médiatique actuel

La plupart des publications citées plus haut n’existent plus. C’est parce que le paysage médiatique change constamment, et maintenant plus que jamais. On a beaucoup épilogué sur la disparition des médias sous l’effet du web ou plus exactement sous l’effet du pillage publicitaire exercé par Google et Facebook. Mais ce problème touche d’abord les médias « traditionnels ». Le fait est que les occasions d’être publié demeurent nombreuses.

Car en parallèle de ce problème, qui affecte les médias établis, le web fait aussi apparaître de nouvelles opportunités. Je pense d’abord au Huffington Post Québec, mais aussi à Nouveau Projet, à Ricochet, à Rad, à Unpointcinq, à Urbania, à La Conversation. Sans compter les nouvelles agences comme 37e Avenue ou La Flèche qui sous-traitent des masses de contenu pour de petites publications très variées comme le journal de l’Ordre des architectes ou quoi d’autre encore. (En passant, ce type d’agence n’est absolument pas nouveau. À mes débuts, j’ai écrit pour une agence qui s’appelait Le Marché de l’Écriture et qui faisait exactement ce genre de sous-traitance du contenu rédactionnel.)

Si on considère la perspective longue, le web a rebrassé les cartes et fait bouger les lignes. On voit des magazines développer un volet web qui les oblige à travailler dans la sphère du quotidien et de l’instantanéité. On voit aussi des dizaines d’organismes se découvrir éditeurs. Certains le comprennent plus vite que d’autres et s’organisent en conséquence, comme Option consommateurs, qui a lancé en 2019 son propre webzine, Magazine OC, consacré à faire connaître les grandes études scientifiques en matière de consommation. Comme le Réseau FADOQ (ancienne Fédération de l’âge d’or du Québec), aussi, qui a créé une revue culturelle de type « branché » en ligne, Avenues.ca. Les occasions sont donc très nombreuses, sans compter celles que vous pourriez susciter, voire créer.

En parallèle, il existe tout un pan de publications spécialisées, dont certaines ont un mandat très pointu, et qui n’ont jamais senti la « crise des médias ». Les deux meilleurs exemples sont La Terre de chez nous et Profession Santé. La première, fondée en 1929, appartient à l’Union des producteurs agricoles. La deuxième, apparentée comme son nom l’indique aux associations de médecins et de pharmaciens, est dans une santé insolente. D’autres organes comme Plan (Ordre des ingénieurs) ne sont pas du tout en mode survie. Il existe même des publications spécialisées indépendantes, comme Droit-Inc. ou Électricité Plus qui exploitent des niches très fortes qui assurent une demande constante de textes.

Les grandes associations techniques, les grands OBNL, les syndicats ont tous leur organe de communication quasi insubmersible. Et que dire de la planète Ricardo ? Et d’autres encore, comme Sors-tu.ca, À table ? Certaines de ces publications ont leur propre rédaction autonome, comme Profession Santé. D’autres, comme Esquisses, de l’Ordre des architectes, sous-traitent leur contenu rédactionnel.

Les deux manières d’entrer

Tout ce beau monde cherche deux choses : soit des collaborateurs, soit des idées, parfois les deux. Si vous en êtes à vos débuts, tout se joue avec la « lettre de présentation » (qui peut être un courriel) assortie de votre CV. Ces clients ont rarement des emplois à proposer, mais ils sont constamment à la recherche de sang neuf pour leur banque de pigistes et de collaborateurs.

Cette lettre de présentation est en fait une variante de la « lettre d’intention » que je décris au chapitre 7. Alors que la lettre d’intention vise à offrir vos services pour un projet précis, la lettre de présentation vise simplement à offrir vos services de manière un peu plus générale. Cette lettre explique pourquoi vous aimeriez travailler pour eux et pourquoi vous êtes la bonne personne. C’est comme ça que j’ai débuté au Voir. Je leur ai dit, bien candidement, que si je n’avais pas beaucoup d’expérience, j’avais de l’enthousiasme à revendre et que j’étais prêt à venir travailler gratis comme stagiaire à condition qu’ils me paient mes piges.

Le monde médiatique a beau avoir été transformé, la manière d’y entrer et ce que cherchent les médias n’ont finalement pas changé une miette. Certes, Twitter, Facebook ou LinkedIn vous fournissent d’autres outils d’accès, mais une fois que vous avez contacté la bonne personne, ce que vous devez faire pour la convaincre demeure quasi immuable.

Depuis qu’elle enseigne à l’UQAM, Carole Beaulieu, ancienne rédactrice en chef à L’actualité, m’a raconté s’être entretenue avec plusieurs rédacteurs en chef sur ce qu’ils recherchent chez un candidat – et donc ce qui devrait ressortir de votre lettre de présentation. Je la cite : « Ils cherchent des gens ouverts, disposés à apprendre, à s’adapter aux besoins de la publication. Ils en ont marre des pigistes qui discutent de chaque virgule alors qu’ils n’ont pas trois papiers sous la cravate. »

Si vous avez un CV à montrer, et un peu plus que quelques articles au compteur, votre lettre devrait faire valoir l’autre chose qu’ils recherchent : des candidats qui ont « de l’accès » (aux sources ou aux lieux). Autrement dit, qui savent ouvrir des portes. Si vous ne savez pas, ce n’est pas grave : il vaut mieux ne pas prétendre.

Les rédacteurs en chef recherchent tous la perle rare : la pigiste ou le collaborateur qui a des idées originales. Mais il semblerait que ce soit vraiment rare, un candidat sur dix au maximum. Heureusement, ils sont prêts à se contenter de personnes qui veulent réellement apprendre ou qui savent déjà ouvrir des portes. Et puis, les idées originales, ça se travaille, comme je l’explique aux chapitres qui suivent. (…)

— Adapté du chapitre 2 par l’auteur.

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