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Depuis janvier 2018, vous retrouvez chaque semaine, à la fin de votre lettre InfoFPJQ, sous la plume de journalistes et chroniqueurs bien connus, un point de vue ou une analyse sur l’actualité médiatique.

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.

Quand le plan de cours ne tient plus

Par André Lavoie

Depuis plus de cinq ans, en collaboration avec l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ), j’anime un atelier intitulé « Débuter à la pige ». Cinq ans déjà ? Il me semble que la dernière fois que je me suis retrouvé devant de jeunes diplômés de l’UQAM, de l’Université de Montréal, ou encore des travailleurs en questionnement professionnel, ça remonte à une éternité.

 

Entre les deux, il y a eu l’apparition foudroyante de cette maladie, la COVID-19, qui redonne à un de mes mantras toute sa pertinence : « La vie, c’est tout ce qui n’est pas à l’agenda. » Mon entourage sait déjà que le mien déborde parfois, mais il n’est pas si différent de celui de plusieurs de mes collègues journalistes indépendants. Pour évoluer dans le monde de la pige, et en vivre !, il faut s’appuyer sur plus d’un client, diversifier ses champs de compétence, maîtriser l’art du réseautage, savoir jongler avec des tombées qui se bousculent au portillon, et établir son budget en fonction de revenus qui fluctuent parfois comme les cours de la Bourse en période de crise.

 

En une soirée, je fais le tour de la question devant un auditoire qui, parfois, n’a peur de rien, plusieurs étant convaincus que cette approche du métier leur convient (la liberté de choisir son beat, et non pas celui imposé par un patron, séduit beaucoup), tandis que d’autres considèrent que cette manière de travailler n’est pas pour eux. Et je ne suis pas là pour leur dorer la pilule : la pige, c’est parfois une galère naviguant au milieu d’une mer de déceptions, de frustrations, mais aussi de réussites, et d’alliances fructueuses.

 

Collègues salariés et pigistes, vous avez déjà compris qu’à partir d’aujourd’hui, mon « plan de cours » ne tient plus, et surtout que « la game » vient de changer. Dans le monde des médias, les mauvaises nouvelles s’accumulent maintenant plus vite que les fake news, et le carnage est généralisé, des mises à pied au Groupe Capitales Médias à celles du quotidien Metro en passant par Le Devoir qui n’a guère d'autre choix que de réduire sa couverture culturelle, celle d’un milieu aux abonnés très absents. Tout cela a non seulement, déjà, des impacts sur l’ensemble de la profession, mais les cris de désespoir se font entendre partout, et pas seulement dans ma boîte Messenger…

 

Deux mots reviennent inévitablement dans nos échanges, nos appels à l’aide, de même que nos nombreux statuts Facebook à saveur humoristique (perso, j’en redemande, seul dans mon coin à me surprendre d’être apaisé par le ronron de l’autobus 18 au pied de ma fenêtre…). Ces mots, ce sont : espoir et solidarité. L’espoir, il repose autant sur la capacité de nos élus et de nos dirigeants à garder fonctionnelles nos institutions, de même que celle de nos concitoyens à comprendre que l’on ne badine pas avec les règles pour contrer une urgence sanitaire. L’autre, la solidarité, est un ingrédient tout aussi important, mais elle sera mise à rude épreuve dans les semaines, et surtout les mois à venir.

 

Pourquoi ce pessimisme devant les élans du cœur qui se multiplient ? Parce que le passage du temps est une chose impitoyable, qu’elle vient parfois à bout des meilleures bonnes volontés, et que les lendemains, qui n’étaient déjà pas très glorieux dans les médias avant la crise, s’annoncent sombres, c’est le moins qu’on puisse dire. Toutes et tous pourraient vite se retrouver devant une tarte dont il ne reste que des pointes rachitiques, et pas mal de miettes. Comment allons-nous réagir ? Ceux et celles qui ont vécu les lock-out à Radio-Canada (en 2002), au Journal de Québec (en 2007) et au Journal de Montréal (en 2009) pourront vous en parler, chez certains avec encore la rage au cœur, de même que des pigistes qui ont tout à coup vu de nouveaux joueurs débarquer sur leur patinoire.

 

Tout cela n’a évidemment aucune commune mesure avec la situation actuelle, inédite, et affolante, à de multiples égards. Mais alors que l’on ne cesse de répéter l’importance de connaître l’Histoire pour mieux appréhender le présent et l’avenir, que l’information, vérifiée !, devient un service essentiel, nos multiples messages de soutien parmi la profession doivent s’accompagner d’une adhésion sincère et concrète à nos organisations professionnelles comme la FPJQ et l’AJIQ, à nos syndicats et à tous les médias, grands et petits, avec qui nous collaborons, sans compter tous les autres qui font de nous de meilleurs journalistes et de meilleurs citoyens, solidaires, avec tout ce que cela implique.

 

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André Lavoie est critique de cinéma au journal Le Devoir et journaliste indépendant. Il collabore notamment au magazine Sélection du Reader’s Digest et à l’émission Aujourd’hui l’histoire sur Ici Radio-Canada Première, en plus d’être recherchiste pour la télé, animateur et conférencier. De 2014 à 2019, il fut vice-président de l’Association des journalistes indépendants du Québec. 

 

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.  

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