Billets

Depuis janvier 2018, vous retrouvez chaque semaine, à la fin de votre lettre InfoFPJQ, sous la plume de journalistes et chroniqueurs bien connus, un point de vue ou une analyse sur l’actualité médiatique.

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.

Pigiste à « boutte »

Par Marilyse Hamelin

Amis journalistes pigistes, vais-je bientôt devoir vous compter sur les doigts de mes mains ? Pas une semaine ne passe sans que je voie l’une ou l’un d’entre vous quitter le bateau. Et ce mouvement, amorcé il y a plus ou moins cinq ans, semble aller en s’accélérant depuis quelques mois.

Il faut dire que je vous comprends. Tous les mois, je me la pose la satanée question : j’arrête ou je continue ? À l’ère où les cachets de pige non seulement n’augmentent plus depuis des lustres, mais se mettent même à diminuer, c’est plus que normal de douter.

 

Pendant ce temps, l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ) s’apprête à célébrer ses 30 ans d’existence, à l’occasion d’un grand congrès tenu parallèlement à celui de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) dans la Capitale-Nationale.

 

Ses organisateurs ont eu la gentillesse de m’y convier à titre de panéliste pour un atelier intitulé « Entrepreneuriat individuel et entrepreneuriat collectif : quelles clés du succès ? ». Cela m’a donné un coup. Moi, une image de succès (notez bien l’emploi du mot « image ») ?

 

Peut-être que je passe pour un modèle d’affaires parce que je bénéficie de passablement de « visibilité » ?, me suis-je demandé. Or, on le sait, l’exposure ne met pas de la confiture sur les toasts. Qui plus est, je dois vous confier que j’ai fait le saut en tombant sur le thème général dudit congrès, qui va comme suit : « Le journalisme indépendant : un métier d’avenir ». Depuis, un étrange rictus crispe mon visage quand j’y songe.

 

Les joyeux naufragés

 

La précarité vous intéresse ? Plusieurs options s’offrent à vous : devenir danseur contemporain, jouer la comédie au théâtre… et désormais être journaliste à la pige ! Je vous parlais plus haut des cachets à la baisse, à quoi s’ajoute le fléau du cachet symbolique, cette version narquoise de la paie « en visibilité » : on ne vous donne pas grand-chose, mais au moins on vous donne un petit montant, pour vous dédommager, pour votre labeur...

 

Et mon travail, il est symbolique peut-être ? Pour tout vous dire, il m’est arrivé de pleurer en encaissant un chèque parce son montant divisé par le nombre d’heures travaillées rendait enviable le salaire minimum. Pourquoi avoir accepté ce boulot, alors ? Parce qu’un travailleur autonome espère toujours qu’un contrat peu payant en amènera d’autres et de meilleurs. Parfois, ça fonctionne, souvent, non. C’est plate à lire, hein ? Croyez-moi, c’est plate à écrire aussi, et encore plus à vivre.

 

Bon sang, peut-être que le temps est venu de le dire ? Le modèle de journalisme écrit à la pige est brisé. Il s’agit en fait d’une avenue généralement non viable et il est désormais impératif de faire autre chose à côté. Très bientôt, l’écriture journalistique à la pige sera devenue un loisir plutôt qu’un gagne-pain. En fait, c’est déjà commencé.

 

D’ailleurs, la seule raison pour laquelle l’année qui se termine a été pour moi la moins pire, monétairement parlant, depuis un bon bout est que j’ai eu quelques contrats d’animation, notamment à la télé (communautaire), et que j’ai donné une série de conférences autour de mon premier essai (dont la rédaction m’a appauvrie).

 

Et quand je dis « la moins pire des années », j’entends par là travailler sept jours sur sept jusqu’à l’épuisement pour, au final, gagner moins que mon salaire d’il y a 10 ans dans la presse locale. Parce que c’est beaucoup ça, la vie d’une journaliste indépendante engagée, sollicitée de toutes parts pour effectuer du travail bénévole ou symboliquement rémunéré. Certaines années, on se retrouve avec un agenda de PDG et un porte-monnaie d’assistée sociale.

 

Faut être fou ou folle, pareil ? Faut y croire en maudit, en tout cas. Ah, l’idéalisme ! En vérité, je ne sais même plus si j’ai bien fait de refuser des offres de partenariat avec des marques. Tout ça au nom de quoi ? De l’honneur, de l’intégrité et du respect du code ? Est-ce qu’il n’y a pas des limites à exiger des individus de porter sur leurs épaules l’idéal d’un journalisme déontologiquement pur, au détriment de leurs besoins essentiels, comme se loger et se nourrir ?

 

Rien dans tout ça ne tourne rond. Le métier a changé. C’est toute une profession qui est en crise, mais on entend beaucoup plus parler des coupes dans les médias traditionnels que des pigistes, qui ne l’avaient déjà pas facile et pour qui la situation devient carrément critique. On pourrait même dire que les pigistes sont la chair à canon au front. Ce sont les premiers à sauter et à quitter le champ de bataille les pieds devant.

 

Je regarde mes amis journalistes pigistes abandonner le métier les uns après les autres, année après année. Je n’ai rien contre l’idée de garder espoir, mais je crois bien qu’il me faudra davantage que la légalisation du cannabis pour avaler l’idée qu’il s’agit là d’un métier d’avenir.

 

Journaliste indépendante et conférencière, Marilyse Hamelin est l’autrice de l’essai Maternité, la face cachée du sexisme. Elle signe aussi le blogue Féminin universel chez Châtelaine.

 

Les propos reproduits ici n’engagent que l’autrice. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.

Retour à la liste des nouvelles
 

Inscription à l'infolettre

Restez informé(e) de nos nouvelles et des activités à venir