Billets

Depuis janvier 2018, vous retrouvez chaque semaine, à la fin de votre lettre InfoFPJQ, sous la plume de journalistes et chroniqueurs bien connus, un point de vue ou une analyse sur l’actualité médiatique.

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.

Nos analphabétismes morbides

Par André Lavoie

Laissez-moi vous parler d’un temps que les moins de trois mois ne peuvent pas connaître. Un temps où la légèreté de nos débats était contagieuse, alors que l’on déchirait sa chemise au sujet du coton ouaté de la députée solidaire Catherine Dorion tandis que les défaites des Canadiens de Montréal ressemblaient à une crise de civilisation. D’ailleurs, avez-vous remarqué que dans l’acronyme « CHSLD », il y a « CH » ? Je suis sûr que l’on nous cache quelque chose sur l’ampleur des problèmes de l’équipe...

Peu s’en souviennent, mais la nouvelle m’a à ce point frappé, à un point qui frisait la honte. Le 21 octobre dernier, jour des élections fédérales, des citoyens en panique ont contacté le service 911 pour savoir ce qu’il fallait faire pour… voter.

 

Que certaines réalités échappent à nos contemporains à bout de souffle, passe encore, mais faire preuve à ce point d’insouciance en encombrant une ligne téléphonique où chaque seconde fait la différence entre la vie et la mort, et alors qu’Élections Canada, sans compter tous les partis politiques, nous inonde d’informations, c’est aberrant.

 

Selon la Fondation pour l’alphabétisation, un Québécois sur cinq, soit environ 1,6 million de personnes, éprouverait des problèmes à lire et à écrire, une statistique que certains contestent. Mais à voir le nombre de personnes qui polluent les réseaux sociaux de commentaires à faire saigner une grammaire, sans compter leurs jugements lapidaires à propos d’articles de presse qu’ils ne lisent même pas, analysant le travail des médias écrits sans faire la différence entre une lettre d’opinion et un éditorial, on comprend qu’à leurs problèmes de lecture s’ajoute une incapacité flagrante à lire entre les lignes.

 

Les journalistes qui couvrent la réalité du terrain à l’heure de la COVID-19 méritent toute notre admiration. Mais ceux et celles dont la tâche est de débusquer les fausses nouvelles et de mettre en lumière le caractère fumeux des théories complotistes n’en sont pas moins admirables. Ils font face à l’Hydre de Lerne, cette créature de la mythologie grecque dont les têtes surgissaient à mesure qu’elles étaient coupées.

 

Et d’où cette bête tient-elle son pouvoir ? De tous ces gens qui croient, alimentent, et diffusent des sottises et des sornettes sur des remèdes miracles, des vaccins en forme de puce électronique, et ce pouvoir occulte des ondes électromagnétiques (sans doute révélé par une source proche d’un four micro-ondes). Vous me direz que l’exemple vient de haut, de la part de vedettes bien connues du grand public, et souvent de la Maison-Blanche. Mais si la petite Aurore l’enfant martyre affirme qu’il suffit de vous placer les mains sur un rond de poêle bien chaud pour guérir de la COVID-19, allez-vous tenter l’expérience ?

 

Si les Québécois ont évité de se ruer sur les désinfectants après les propos ignares de Donald Trump, cet analphabétisme médiatique et scientifique n’en est pas moins morbide, accentuant les comportements irresponsables (« C’est comment long déjà deux mètres ? »), cultivant la méfiance à l’égard des élites (« La distanciation sociale et l’immunité collective, de kessé ? »), et faisant du sacro-saint gros bon sens une religion infaillible.

 

Quand on refuse de croire que la Terre est ronde, comment peut-on y trouver sa place ? Et se tenir debout ?

 

Télé-Québec et le confinement : une occasion à saisir ?

Pas très téléphage depuis quelques décennies - adolescent, je n’avais rien à envier à ceux d’aujourd’hui rivés à leur téléphone ou leurs jeux vidéo, d’où mon éloignement salutaire dès l’âge adulte - le confinement m’a poussé vers Télé-Québec, que je regardais depuis longtemps « à la carte » : une émission à la fois.

 

Ces dernières semaines, je ne suis pas si différent de plusieurs élèves confinés. Près de 100 000 enfants de 12 ans ou moins ont pris le chemin de L’école à la maison, un rendez-vous éducatif de la télévision publique conçu à grande vitesse devant une situation totalement inédite. Et c’est sans compter les 221 000 visionnements de sa version Web, des chiffres fournis par Numeris et couvrant la semaine du 13 au 24 avril.

 

Or, quand on sait que le Québec compte 658 826 élèves du niveau préscolaire et primaire, et 409 031 élèves du niveau secondaire (source : Institut de la statistique du Québec pour l’année scolaire 2018-2019), pas besoin d’être un grand statisticien pour comprendre que Télé-Québec pourrait, et devrait, en rejoindre davantage. Mais la chaîne fait ce qu’elle peut avec les moyens qu’on lui accorde, sans cesse en diminution depuis les années 1990.

 

Combien de fois a-t-on entendu que le Québec n’était pas prêt à faire face à la pandémie ? Certains experts en technopédagogie récemment interviewés m’ont souligné à quel point il ne l’était pas davantage pour une école ouverte, à distance, hors les murs, peu importe le terme que vous préférez.

 

Le concept d’éducation populaire semble désuet pour plusieurs, mais lorsque les bibliothèques et les lieux de culture sont plongés dans l’obscurité, et que dire des institutions d’enseignement, vers où les citoyens, petits et grands, peuvent-ils se tourner ? Et qu’arrivera-t-il lorsque la crise sanitaire cédera sa place à la crise économique ? Passe-Partout aura du pain sur la planche, mais elle ne pourra pas tout faire toute seule.

 

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André Lavoie est critique de cinéma au journal Le Devoir et journaliste indépendant. Il collabore notamment au magazine Sélection du Reader’s Digest et à l’émission Aujourd’hui l’histoire sur Ici Radio-Canada Première, en plus d’être recherchiste pour la télé, animateur et conférencier. De 2014 à 2019, il fut vice-président de l’Association des journalistes indépendants du Québec. 

 

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.  

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