Billets

Depuis janvier 2018, vous retrouvez chaque semaine, à la fin de votre lettre InfoFPJQ, sous la plume de journalistes et chroniqueurs bien connus, un point de vue ou une analyse sur l’actualité médiatique.

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.

L'âge des expiations

Par Luc Chartrand

L’air du temps est aux actes de contrition publics. Combien de ceux-ci ne constituent-ils que des compromissions pour calmer la meute?

Je m’excuse mais… j’en ai assez de toutes ces excuses.

Se passe-t-il une seule journée sans que les infos ne nous livrent la dernière contrition publique?

Ces dernières semaines, ce furent une jeune professeure de l’Université d’Ottawa, un autre professeur (de Concordia celui-là), les Forces armées canadiennes, la directrice de l’Association des libraires, François Legault, un enseignant du secondaire et j’en passe… On croirait qu’on fait la file pour s’excuser au micro.

Combien de ces mea culpa reposent-ils sur un fond de sincérité et d’auto-critique? Et combien ne sont-ils que des compromissions visant à calmer la meute? Une chose est sûre, l’excuse est devenue facile et, par voie de conséquence, souvent insignifiante. Quelle valeur peut-on accorder à cette vague de regrets exprimés par des chanteurs populaires lors du mouvement #metoo?

De prime abord, je croyais que cette attitude était dictée par les professionnels des relations publiques. Des conseillers en gestion de crise ne seraient-ils pas enclins en effet à recommander à leurs clients de jeter des excuses en pâture à l’opinion comme le fuyard qui abandonne son sandwich à un ours qui le poursuit? Mais il n’en est apparemment rien. Des relationnistes à qui j’ai parlé semblent tout aussi interloqués que moi face à cette tendance qui prend parfois une tournure surréaliste.

C’est le cas de la mésaventure académique de Mme Verushka Lieutenant-Duval qui avait utilisé le mot « nègre » dans son cours, dans un contexte dénué de toute connotation négative. Dans toutes les entrevues que j’ai entendues d’elle par la suite, elle a tenu à souligner qu’elle s’était excusée, a réitéré ses excuses puis, a passé tout le reste de son propos à expliquer comment elle n’avait rien fait de répréhensible!

En fait, cette ruée vers la contrition n’est souvent que la réponse paniquée face au salissage rapide des réputations que permettent les réseaux sociaux.

« Le problème principal c’est que tout le monde veut réagir rapidement », dit Patrick Howe, président de La Société québécoise des professionnels en relations publiques qui s’inquiète du manque de recul qui guide les individus aussi bien que les organismes aux prises avec une « crise » - qui n’est souvent qu’une crisette, générée par une poignée de commentateurs suivis par leurs amis qui « likent ».

« La première étape, lors d’une gestion crise devrait normalement être consacrée à recueillir les faits et en analyser l’ensemble des répercussions. »

Le corollaire de cette culture de la démission, c’est la frilosité grandissante des institutions qui feront tout pour se dégager de leurs responsabilités lorsqu’un de leurs associés est sous attaque. On l’a vu avec le Festival de jazz face à la critique de SLAV, avec les maisons de disques et des agences qui ont laissé tomber des artistes objets de dénonciations parfois anonymes pendant #metoo et encore dans la démission de l’Université d’Ottawa sur la controverse du « mot en N ».

À travers toutes ces controverses, plusieurs commentateurs ont souligné avec raison le danger croissant de céder devant la rectitude politique. Ce n’est pas une « lubie de chroniqueurs» mais une saine réaction face à ceux qui baissent pavillon devant la moindre critique. Jusqu’ici, peut-on constater, le fort est assez bien défendu par la meute des chiens de garde!

Ceci étant dit, toutes les excuses ne sont pas égales, ni émises dans un état de panique.

Certaines sont le reflet d’un très long cheminement et visent, par exemple, à marquer un virage historique, un changement de paradigme, dans les rapports sociaux. Le meilleur exemple est celui des excuses officielles du Canada envers les peuples autochtones. Qui peut nier qu’il était plus que temps?

En somme, il y a dans la tension entre ceux qui exigent et ceux qui donnent des excuses, un rapport de pouvoir. Il n’est pas toujours opportun de céder mais il arrive qu’il le soit. Dans tous les cas, mieux vaut prendre le temps de réfléchir avant.

 

Retour à la liste des nouvelles
 

Inscription à l'infolettre

Restez informé(e) de nos nouvelles et des activités à venir