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Depuis janvier 2018, vous retrouvez chaque semaine, à la fin de votre lettre InfoFPJQ, sous la plume de journalistes et chroniqueurs bien connus, un point de vue ou une analyse sur l’actualité médiatique.

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.

La Presse, un OBNL ? Un peu trop « hop la vie »

Par Lise Ravary

Je n’ai rien écrit à ce jour sur la transformation proposée de La Presse en organisme à but non lucratif. Un peu par pudeur et beaucoup en raison du manque d’informations factuelles permettant d’étudier cette proposition dans une perspective d’affaires.

Nous n’avons pas accès aux états financers, mais, depuis le début, j’ai exprimé des doutes au sujet du modèle économique de La Presse +. Et je ne suis pas la seule. En 2015, Jean-Hugues Roy, professeur à l’école des médias de l’UQAM, estimait à 221 millions de dollars les pertes de La Presse + sur deux ans. Et, comme moi, aujourd’hui, il se demande si les 50 millions de Power Corporation suffiront à relancer La Presse.

Seule une perspective d’affaires permettrait d’évaluer les chances de réussite de ce sauvetage pour assurer à La Presse stabilité et pérennité. Les médias sont des business comme les autres, soumises aux mêmes règles, même si ce sont les règles qui gouvernent les OBNL. Désolée.

La Presse + a été un échec sur le plan des affaires, disait Sylvain Lafrance, professeur associé à l’école des Hautes Études commerciales, dans une entrevue au quotidien Le Devoir, mais les changements espérés n’incluent aucune modification aux pratiques qui ont contribué à mettre le journal en situation d’échec. La gratuité demeure, le papier ne revient pas et les dépenses semblent élevées.

J’aime dire que « si rien ne change, rien ne change ». Devenir une « fiducie d’intérêt social » ne garantit pas le succès, et ce, même si la pression d’avoir à réaliser des profits disparaît. Tout comme passer au numérique ne permet pas de faire des économies parce qu’il n’y a pas de factures d’imprimerie à régler.

Combien La Presse devra-t-elle obtenir des gouvernements et de généreux donateurs pour couvrir la paie de ses centaines d’employés et de ses journalistes-vedettes ? Sans compter le loyer, les dépenses de rédaction – qu’en sera-t-il des grands reportages à l’étranger ? – et de promotion, etc. Toute une bête à nourrir. Tant que Power Corporation payait le lunch, tout allait bien.

Quand Le Devoir tend la main, le donateur sait que le journal vit modestement. Quand La Presse passera le chapeau, l’image de ses 500 employés surgira dans l’esprit du gouvernement et des mécènes.

Il y a une différence entre mettre de l’essence dans une Fiat 500 et dans une Mustang Shelby GT500.

Je ne vois pas comment La Presse pourrait maintenir de tels effectifs avec un statut d’OBNL. Et je trouve malhonnête que le président Pierre-Elliott Levasseur laisse miroiter le maintien des emplois. J’ai dirigé les affaires d’un assez grand nombre de médias écrits au cours des 25 dernières années pour pouvoir dire que c’est impossible.

À partir du moment où l’argent des contribuables ira dans les coffres de La Presse, les « woèreux » feront ce que les « woèreux » font le mieux, c’est-à-dire aller « woère » comment leur argent est dépensé. Chacun s’estimera propriétaire. Chacun aura son opinion.

Je ne souhaite rien d’autre que la survie et le succès de La Presse, version + ou autrement. Ce journal fait partie de notre histoire. Aujourd’hui, il est frappé de plein fouet par la crise des médias écrits qui sévit partout en Occident. Crise pour laquelle il y a peu de solutions immédiates.

Même si les lecteurs sont au rendez-vous en grand nombre, les annonceurs, même locaux, préfèrent se faire voir chez les Américains Google ou Facebook (le moment est bon pour jouer la carte du patriotisme).Le modèle d’affaires est brisé.

Le financement étatique a ses limites – la tolérance du grand public – et il n’y a pas au Québec de grande tradition philanthropique, contrairement à ce qui existe dans le monde anglo-saxon. De plus, les grandes fortunes ne courent pas les rues du Québec et le plus gros bassin de donateurs, les anglophones, n’est pas accessible à un média francophone.

Ai-je une meilleure idée ? Bien sûr que non, mais quiconque s’imagine que cette transformation du journal de Power Corporation en OBNL va tout régler rapidement, sans heurts et sans que rien ne change, se trompe. La Presse devra réduire ses dépenses.

Pour terminer, je ne peux pas dire assez de mal des parlementaires québécois qui ont décidé, par principe, de s’opposer au changement de statut de La Presse. Ce qu’on n’a pas entendu : projet de loi précipité, création d’un précédent, demande de garanties pour l’indépendance éditoriale, nominations au conseil d’administration, garantie de places pour les journalistes et les lecteurs au C.A.

Rien de tout cela n’est l’affaire du Parti québécois ou de Martine Ouellet. Ou de l’Assemblée nationale.

Croyez-moi, si La Presse avait annoncé qu’en devenant un OBNL elle prendrait un virage souverainiste, tout ce beau monde ronronnerait comme des petits minous repus.

Lise Ravary est chroniqueuse et blogueuse au Journal de Montréal et au Journal de Québec. Elle a dirigé plusieurs magazines, notamment enRoute d’Air Canada, Elle Québec, Elle Canada et Châtelaine.

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteure. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.

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