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Depuis janvier 2018, vous retrouvez chaque semaine, à la fin de votre lettre InfoFPJQ, sous la plume de journalistes et chroniqueurs bien connus, un point de vue ou une analyse sur l’actualité médiatique.

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.

Garder la tête froide face au réchauffement

Par Luc Chartrand

Faut-il, face à la menace climatique, bannir des médias la voix de ceux qui font preuve de scepticisme en rejetant les scénarios d’apocalypse ?

C’est ce que propose André Noël dans son article « Les médias continuent de semer le doute sur la gravité du réchauffement climatique » (Le Trente, automne 2019).

En résumé, André Noël avance que le consensus scientifique sur la réalité des changements climatiques d’origine anthropique est tel que les médias agissent de manière irresponsable en accordant une place à ceux qui questionnent son caractère catastrophique. André Noël s’en prend principalement aux journaux qui, du Devoir à La Presse, en passant par le Journal de Montréal, consacrent (très occasionnellement, notons-le) des paragraphes de reportages ou publient des opinions qui remettent en question le catastrophisme ambiant. Récemment, sur Facebook, il estimait « honteux » que La Presse + ait accepté de publier dans ses pages d’opinion un texte « positif » sur l’état de la planète signé par un fellow de l’Institut Fraser.

Les opinions à proscrire, selon mon collègue, ne sont pas seulement celles qui nient l’existence des changements climatiques. Il faudrait aussi écarter des médias les commentateurs qui questionnent le degré de gravité du phénomène. Pour renforcer son argument, il nous informe que certains d’entre eux ont (ou auraient eu) des liens avec l’industrie pétrolière. C’est certes utile de le savoir. Mais en quoi cela justifie-t-il qu’on prive le public de leur opinion ?

« Prétendre que le réchauffement du climat n’est pas catastrophique n’est pas une opinion », répond-il. Dès lors, publier dans les journaux des points de vue modérés (non-catastrophistes) sur le sujet serait une attaque contre « la vérité » révélée par les scientifiques. « Pourquoi, alors, publier des textes dépréciant leurs avertissements en niant l’extrême urgence dans laquelle on se trouve ? »

On trouve peu d’exemples de journalistes lançant un tel appel à la censure des points de vue et à la rupture avec la recherche d’équilibre qui caractérise le journalisme professionnel. André Noël n’est pas seul de son camp et il cite en exemple Kyle Pope, éditeur en chef du Columbia Journalism Review et Mark Hertsgaard, journaliste pour The Nation qui lancent, dit-il, sensiblement le même appel : « Selon eux, la situation de crise extrême dans laquelle on se trouve exige un bouleversement des règles de neutralité. » (je souligne).

Eh bien non.

Avant de brûler la maison du journalisme bien tempéré, je propose qu’on se refroidisse un peu les esprits.

 

L’évolution climatique n’est pas (encore) une crise

Le réchauffement du climat mondial est un fait. Que l’agent principal de ce changement soit l’activité humaine et, en particulier, la combustion des énergies fossiles ne fait plus de doute pour tous ceux qui sont informés. Les données scientifiques sont probantes et elles sont en accord avec les lois de la physique. Très peu de gens de nos jours contestent ces énoncés. C’est dans l’appréciation des conséquences et sur les mesures à prendre (ou pas) que le débat existe. C’est un débat normal, sain et nécessaire. Une bonne façon d’y contribuer est de dépouiller le sujet de sa surcharge émotive…

Nous avons tendance, comme journalistes, à privilégier des mots comme « crise » ou « catastrophe ». L’emploi d’expressions comme « crise extrême », citée plus haut, fait partie des stratégies d’écriture visant à survaloriser notre propos et à intimider les présumés aveugles qui ne pensent pas comme nous.

Or, nous ne sommes pas à proprement parler dans une crise climatique. Nous sommes plutôt dans une situation de crise appréhendée, ce qui est très différent. Le climat terrestre s’est réchauffé d’un degré depuis l’ère préindustrielle. Les changements qui en ont résulté se sont produits très lentement et, si des crises ont pu éclater localement, la grande majorité des habitants de la Planète n’en a pas souffert.

Il est néanmoins tout à fait légitime de s’inquiéter : les ouragans dévastateurs seront-ils plus nombreux qu’avant ? Les feux de forêt sont-ils plus violents ? Les Îles-de-la-Madeleine seront-elles submergées un jour ? La science d’aujourd’hui est en mesure de répondre « probablement, oui » à chacune de ces questions. Au-delà, le degré de certitude varie selon l’intensité des perturbations, selon leur échéance dans le temps et selon une gamme de scénarios d’émissions de gaz. On quitte ici le terrain de la pure science.

L’exercice auquel on demande de plus en plus aux scientifiques de se livrer est celui de la prospective. Qu’arrivera-t-il si la tendance se maintient ? Dans combien de temps ? Jusqu’à quel point ? Ces prospectives peuvent certes être éclairées, voire éclairantes, et renforcer l’inquiétude. Mais elles ne commandent pas un acte de foi même si, parfois, des scientifiques qui s’y livrent prennent des poses de prophètes de l’Apocalypse.

Quels seront les effets positifs des changements climatiques ? On n’en entend guère parler dans les médias, n’est-ce pas. Et pourtant, ils sont potentiellement nombreux. La biodiversité des pays nordiques pourrait s’en trouver augmentée (on voit le dindon sauvage s’établir au sud du Québec… les caryers et les noyers devraient voir leur aire de distribution s’étendre vers le nord… de nouvelles productions agricoles seront possibles… etc.) Ces hypothèses vous semblent sortir de la propagande du lobby pétrolier ? Elles sont pourtant discutées le plus sérieusement du monde par les experts du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) que l’on aime citer mais, pratiquement, seulement pour leurs pronostics les plus sombres. Dans ses synthèses, le GIEC estime que la somme des inconvénients devrait dépasser celle des avantages. L’avenir dira s’ils ont eu raison.

Comme le dit une blague talmudique : prophétiser est un art difficile, surtout à propos de l’avenir. Et surtout quand le présent lui-même est si difficile à lire…

Le rôle des médias : questionner les idées reçues

On ne compte plus le nombre de phénomènes qui, dans les médias, sont attribués sans preuve aucune au réchauffement : le déclin du caribou nordique, les inondations de Sainte-Marthe-sur-le-Lac, les feux de forêt de Fort McMurray… S’il y a une dérive en ce moment dans le traitement médiatique, c’est celle qui consiste à répéter ces idées reçues sans les remettre en question. La peur de passer pour climatosceptique nous fait-elle perdre tout sens critique ?

La chasse aux mauvaises idées que propose André Noël ne peut conduire qu’à une aggravation de ce déficit d’exactitude.

Une révision récente de l’ombudsman de Radio-Canada, Guy Gendron, illustre ce danger de manière limpide (https://cbc.radio-canada.ca/fr/ombudsman/revisions/2019-01-28 ). Dans ce texte (« Les périls du refus d’admettre une erreur même involontaire »), l’ombudsman démontre comment des journalistes ont erré, incapables d’admettre qu’ils avaient diffusé, à tort, que les changements climatiques étaient à l’origine d’une augmentation de la fréquence des pluies torrentielles au Canada. Malgré les objections factuelles et bien documentées sur le plan statistique apportées par un ingénieur spécialiste du sujet, les collègues ont choisi de traiter ce critique comme un climatosceptique et se sont enfoncés dans leur erreur en dénigrant ses propos de manière peu... scientifique.

L’enjeu climatique n’est pas différent des autres. Il exige une recherche de la précision des faits et une ouverture au débat sur la multitude des questions ouvertes. Le climat se réchauffe ? Gardons la tête froide !

 

-30-

 

Luc Chartrand est journaliste à l'émission Enquête de Radio-Canada. Après avoir travaillé en presse écrite, notamment au magazine L’actualité, Luc Chartrand travaille à Radio-Canada depuis 2000. Il a été notamment correspondant pour l’Europe et pour le Moyen-Orient. Il a remporté de nombreux prix de journalisme.

 

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteur(e). La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.

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