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Depuis janvier 2018, vous retrouvez chaque semaine, à la fin de votre lettre InfoFPJQ, sous la plume de journalistes et chroniqueurs bien connus, un point de vue ou une analyse sur l’actualité médiatique.

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.

COVID blues

Par Isabelle Paré

Plus de 240 jours depuis le premier cas de COVID au Canada. Six mois d’urgence sanitaire. Près de 500 000 articles, manchettes et nouvelles pondus et diffusés sur la pandémie par les médias d’information au Québec. Un tsunami médiatique. Une véritable déferlante, qui continue de mobiliser toutes les salles de nouvelles, de tenir en alerte la quasi-totalité des ressources humaines et d’éprouver des budgets déjà siphonnés par la chute niagaresque de la publicité. Pourquoi ? Pour virer au rouge. Tout ça pour ça ?

Comme journaliste, difficile de ne pas avoir les COVID blues ces jours-ci, en regardant le baromètre des infections flamber et les sondages qui donnent le tournis. Presque un Québécois sur quatre croit encore que le virus de la COVID a été créé en laboratoire, disent certains coups de sonde. Sérieux ?
Et la moitié des Québécois ne craignent aucunement d’attraper la COVID, selon la firme Léger. À Montréal, une personne infectée sur cinq rechigne à identifier ses contacts. Misère !

À se demander si, nous, les médias, avons pédalé dans la choucroute ces derniers mois. Comme si le cumul des manchettes et des milliers d’heures d’antenne consacrées à ausculter en long et en large les revers de la pandémie étaient tombés dans l’oreille d’un sourd.


Lune de fiel

Les médias comparent souvent les campagnes électorales à un marathon médiatique. La présente couverture de la pandémie commence drôlement à prendre des allures d’ultramarathon.

Garder le rythme, ne pas perdre haleine, ménager ses forces pour se rendre au fil d’arrivée : les médias ne font que ça depuis les six derniers mois. Comme dans les hôpitaux, certains sont tombés au combat. Au Canada, plus de 2000 journalistes ont perdu leur travail, selon J-Source. Cela, au moment où l’accès du public à une information bétonnée demeure l’un des nerfs de la guerre menée contre le virus.

En plein confinement, les médias ont vécu une lune de miel dopée par un auditoire encabané de force, abonné aux points de presse quotidiens. Sur les sites des grands médias, l’achalandage a bondi, avec des auditoires en hausse de 75 % en après-midi sur certaines chaînes francophones. Assoiffé d’informations, le public semblait offrir tout à coup aux médias une renaissance inespérée !


Quand l’infox tue

Mais à regarder l’adhésion aux théories fumeuses et les taux d’infection (en mai, 46 % des Canadiens adhéraient à l’une des quatre populaires théories du complot circulant en ligne), c’est à se demander si l’engouement médiatique des débuts de la pandémie a eu quelque effet que ce soit.

Les médias doivent non seulement galoper pour maintenir leurs auditoires et en gagner de nouveaux, mais aussi composer avec l’hydre de la désinformation qui étend ses tentacules sur les réseaux sociaux.

Cette hydre à plusieurs têtes n’est plus que l’affaire d’obscurs sites gérés par des esprits troubles. Elle se déploie sur les comptes courants de Monsieur et Madame tout le monde, colportée et repartagée par les principaux vecteurs de cette nouvelle forme de transmission communautaire que sont les Facebook, Instagram, Twitter ou WhatsApp.

Durant la pandémie, NewsGuard, une application qui scrute la crédibilité de sites d’actualité en Europe et en Amérique, a évalué que 10 % des 3500 sites responsables de 96 % de l’engagement en ligne charriaient de « l’infox ». Parfois des infos biaisées, parfois des faussetés, potentiellement dangereuses.

L’hiver dernier, près de 6000 Américains ont abouti aux urgences, après avoir ingurgité des cocktails anticovid à base d’alcool, 800 en sont morts et 60 autres en sont sortis aveugles, selon une étude réalisée en mai par des chercheurs.

Si peu de gens sont assez dupes pour enfiler des tasses de Javex, même des sites grand public versés dans la médecine naturelle comme GreenMedInfo.com ou Naturalness.com distillent des infos délirantes sur la COVID et, sous le manteau, sont liés à des organisations conspirationnistes.


Selon le Reuters Institute, les vraies « fausses » nouvelles ne comptent que pour le tiers de l’infox, le reste est souvent du contenu « reconfiguré », aux allures assez crédibles pour berner les plus aguerris.

Le problème n’est pas tant que les gens avalent des faussetés, mais qu’en se coupant de la vérité, ils deviennent imperméables ensuite aux recommandations les plus élémentaires, soulignait récemment Hugo Mercier, scientifique au Centre national de la recherche scientifique de France. Un refrain qui résonne fort ces jours-ci, en pleine 2e vague.


David contre Goliath

Vrai, certains médias ont repris du poil de la bête et augmenté comme jamais leur engagement en ligne durant cette pandémie. Le travail abattu par les entreprises de presse ces derniers mois est monumental. Mais sur les réseaux sociaux, ces terrains de jeu bénis de l’info-poison, les médias sont relégués à la ligue Bantam. Sur ces terres fertiles, l’infox bat les médias à plate couture, en termes de clics, à force de « mèmes » accrocheurs et d’images simplistes, selon NewsGuard.

La pandémie a redonné du souffle à ce virus tout aussi pernicieux que le SARS-CoV-2: celui de la désinformation à grande échelle. Un virus transmissible à des kilomètres de distance, en un seul clic, avec ou sans masque. Un virus qui fait ses choux gras de l’ignorance, de la peur, de l’incertitude, instrumentalisées pour servir de très peu nobles causes politiques ou sociales.

Mais contre ce virus-là, nous n’avons pas encore trouvé de remède, ni comme société ni comme médias. Même les algorithmes anti-infox développés par les géants de la Silicon Valley sont bernés par ces chimères. Comme médias, il nous reste beaucoup à faire pour trouver la formule et le bon dosage d’un vaccin apte à saper l’herbe sous le pied de cette hydre, sur son propre terrain. Un vaccin protecteur, inoculable au plus grand nombre, en quelques clics, et sur toutes les plateformes.

 

-30-

 

Isabelle Paré est journaliste au Devoir depuis 30 ans. Diplômée en droit, elle a assuré la couverture de plusieurs secteurs de l’actualité au fil des ans, dont la politique municipale, les affaires sociales, l’éducation, la santé et la culture. Avec un intérêt accru pour les reportages de fond, elle continue de couvrir divers sujets d’actualité. Elle a remporté en 2019 le prix Jules-Fournier décerné par l'Office québécois de la langue française du Québec (OQLF) et un prix Judith-Jasmin («Reportage long – Presse écrite») en 2000.

 

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteure. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.

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