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Depuis janvier 2018, vous retrouvez chaque semaine, à la fin de votre lettre InfoFPJQ, sous la plume de journalistes et chroniqueurs bien connus, un point de vue ou une analyse sur l’actualité médiatique.

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.

Ceux qui racontent la guerre

Par William Thériault, étudiant finissant à l'École supérieure en Art et technologie des médias ATM à Jonquière et stagiaire à la FPJQ

williamtheriault1@gmail.com

La guerre frappe, tue, déchire et torture des populations entières. Elle rase des villes, détruit des existences. Elle nourrit le désespoir, répand quotidiennement la peur. Mais pour que la guerre soit imagée, pour qu’elle soit racontée, il faut que quelqu’un se tienne derrière la caméra.

PHOTO COURTOISIE. Martin Tremblay photographiant un missile russe n’ayant pas explosé à l’impact, à Mykolaïv en Ukraine.

Pour le photojournaliste à La Presse Martin Tremblay, documenter les conflits internationaux est d’une importance capitale. « J’ai choisi de faire ce métier pour expliquer et sensibiliser le monde à des situations qui n’ont pas de sens humainement. Ma job, c’est de témoigner l’horreur de l’humain, et la guerre, c’est pas mal la pire horreur qui existe », affirme-t-il.

Formé par la journaliste Michèle Ouimet en Afghanistan dans les années 2000, Martin Tremblay a notamment capturé des images chargées de sens en République démocratique du Congo, au Niger ainsi qu’en Arménie. Et plus récemment, en mars, il est allé sur le terrain en Ukraine.

« Là-bas, j’ai vraiment eu l’impression que je me voyais en noir et blanc, que c’était la Deuxième Guerre mondiale », se rappelle-t-il. « Il y avait des cocktails Molotov, des explosions, des réfugiés dans des trains : ça ressemblait à ce que l’Europe avait déjà vécu ».

Résultat : le photojournaliste a signé plusieurs reportages avec la chroniqueuse Isabelle Hachey, démontrant notamment la terrible réalité des gens de Marioupol, Irpin, Lviv et Mykolaïv. Des gens qui, s’ils n’avaient jamais été approchés par des journalistes, n’auraient jamais pu partager leur histoire.

Choquer l’opinion publique

Fabrice de Pierrebourg, journaliste indépendant à L’actualité et collaborateur aux 98,5 FM, possède un considérable bagage d’expérience en territoire de guerre. Pour lui, un journaliste international doit obligatoirement se rendre sur le terrain s’il veut réellement montrer au public ce qui s’y passe. C’est d’abord son rôle, et ensuite le seul moyen de faire ressentir un conflit.

PHOTO COURTOISIE - Fabrice de Pierrebourg (à gauche) lors d’un passage en Afghanistan, en décembre 2021.

Ayant vu de ses yeux l’horreur en Ukraine, au Mali, en Syrie, au Liban et en Irak, il affirme « qu’on prend trop souvent des gants blancs » pour protéger l’opinion publique occidentale en se privant de publier certains clichés graphiques, alors que la guerre est une réalité quotidienne pour des millions de personnes à travers le monde.

« La guerre, c’est présenté comme très statistique. Les Russes ont perdu tel nombre de soldats, les Ukrainiens ont perdu tant de civils. Mais non. La guerre, c’est les gens qui se font bombarder, qui vivent des jours dans des sous-sols comme des rats, c’est des enfants qui se font tirer. Sur le terrain, vous les oubliez, les statistiques. Vous côtoyez des civils avec les jambes et les bras arrachés », explique M. de Pierrebourg.

Le franco-québécois a déjà intégré des équipes militaires comme membre de la presse afin de créer des reportages immersifs et il indique avoir un crédo, en couverture de guerre. « Je me positionne toujours du côté des victimes, surtout civiles ».

L’inévitable danger

Lorsqu’il s’informe sur ce qui se passe durant une guerre ou un conflit d’envergure internationale, le lectorat se concentre sur les récits frappants qui viennent à lui, oubliant que la personne les ayant rédigés peut souvent être en danger.

Le photographe Roger Lemoyne, qui capture « les effets de la guerre », est bien placé pour le savoir. Il a perdu plusieurs confrères dans sa vie, dont le photographe américain Chris Hondros et le journaliste britannique Tim Hetherington, tués par le même obus en Lybie, en 2011.

Il rapporte avoir lui-même déjà vécu une situation périlleuse, même s’il en est sorti indemne. « En Afghanistan, ma voiture a été tirée par l’État islamique. C’était un véhicule des Nations unies blindé, donc la balle est restée dans la porte. On m’a probablement visé parce que je prenais des photos », raconte M. Lemoyne.

Même chose pour Martin Tremblay. « L’an dernier en Arménie, on a essuyé des tirs de l’armée de l’Azerbaïdjan. Lors d’une entrevue, des balles se sont mises à siffler au-dessus de notre tête, donc on a couru pour se mettre à l’abri. Heureusement, on l’avait terminé », relate l’employé de La Presse.

Maintes fois récompensé pour ses images dans les années 1990 et 2000, Roger Lemyone a désormais pris ses distances avec la profession. « Aujourd’hui, les journalistes sont plus ciblés parce que l’information est de plus en plus perçue comme dangereuse et menaçante », pense-t-il.

Martin Tremblay, lui, veut continuer à brandir son appareil photo. Ce ne sont pas les projectiles qui le dissuaderont. « Chaque fois que j’embarque dans ma voiture, je peux mourir. Pourtant, je conduis tous les jours », illustre-t-il.

Séquelles et convictions

« En Afghanistan, tu as le stress d’exploser sur la route», confie Fabrice De Pierrebourg. « Tu es confronté à l’horreur de la guerre civile, tu es témoin d’une boucherie. Ça te hante pendant longtemps ».

Le Dr Alain Brunet, chercheur à l’Institut Douglas et professeur au département de psychiatrie à l’Université McGill, soutient qu’il est possible de rentrer d’une couverture de conflit avec des séquelles si l’on est « exposé à des éléments traumatiques dans le cadre de son travail », comme c’est le cas pour les journalistes et photographes de guerre.

Après avoir vécu la guerre comme observateur, ces personnes font des cauchemars récurrents et ressentent une certaine « culpabilité du survivant », selon le Dr Brunet, affirmant lui-même en connaître plusieurs.

Au Kosovo, en 1998, Roger Lemoyne a photographié un jeune soldat du KLA qui avait perdu ses mains dans une explosion, se vidant de son sang.

En Ukraine, le mois dernier, Fabrice de Pierrebourg est allé visiter des immeubles à appartements dont la façade a été rasée par des explosions sur cinq étages.

Au Congo, Martin Tremblay a écouté une sœur lui raconter que toutes les filles de son village avaient été enlevées et converties en esclaves sexuelles.

En garde-t-il des séquelles ? Sa réponse est oui. « J’ai développé une profonde empathie pour l’humain. Ça m’a donné le goût et ça m’a motivé à continuer d’imager ces conflits ».

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