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Depuis janvier 2018, vous retrouvez chaque semaine, à la fin de votre lettre InfoFPJQ, sous la plume de journalistes et chroniqueurs bien connus, un point de vue ou une analyse sur l’actualité médiatique.

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.

Aller chercher les jeunes

J’aime vraiment ma job chez URBANIA. J’y « chasse des histoires  » depuis quelques mois maintenant, et je m’imagine y rester jusqu’à ce que les Canadiens remportent leur prochaine Coupe Stanley, c’est-à-dire jusqu’à ma mort (prévue quelque part entre mai 2058 et juillet 2063. De complications cardiaques assurément, mais la découverte du jogging dans quelques années prolongera de manière surprenante mon espérance de vie). 

Les automobiles volantes seront alors enfin là (merci Elon Musk), Archie Mounbaten-Windsor sera le Premier ministre du Canada oriental (l’ouest aura divorcé en 2027) et le gars des pubs d’A&W aura pris sa retraite prématurément, après avoir chopé l’E. coli. 

 

Mais voilà que ce radieux plan d’avenir est assombri par l’épiphanie qui m’a frappé l’autre jour, en pleine séance de cyclisme hivernal : et si j’étais rendu trop vieux pour travailler dans un média « de jeunes » ? 

J’ai 41 ans. Je me considère comme un X ouvert d’esprit ou un Y old school, mais j’ai forcément une date de péremption. 

Mais quand ? 

À quel moment ça devient phoney baloney* de bosser dans un média dont la cible magique oscille entre 18 et 34 ans ? 

 

Je réfléchis souvent à ça, je fais des calculs dans ma tête. 

Par exemple quand le plus vieux lecteur ou lectrice ciblé(e) d’URBANIA est né(e), je connaissais déjà par cœur le speech (en français) de Rocky au peuple russe après avoir fichu une raclée (méritée) à Drago. 

« … si moi j’ai changé, et que vous, vous avez changé…alors tout le monde peut arriver à changer. »

 

Mes collègues Jasmine, Gabrielle et Alex contribuent aussi malgré eux à ma réflexion, eux qui sont né(e)s autour de 1996, à l’époque où Sonia m’avait sacré là parce qu’elle m’aimait jusse-comme-amie-finalement. 

Au moins, elle ne m’a pas bullshité, puisque je la vois encore et ce, même si elle est Mohawk. Je lui en veux quand même encore un peu de m’avoir remplacé par un petit bum de Deux-Montagnes qui écoutait du Blink-182. 

Mais bon, j’en suis revenu quand même. 

OUI J’EN SUIS REVENU ET JE NE SUIS PLUS DU TOUT EN CRISSE SONIA. 

 

Bref, tout ça pour glisser un mot sur l’obsession des médias ces dernières années à essayer de courtiser les jeunes, « aller chercher les jeunes » comme y disent. 

Ceux du secondaire, ceux des régions, ceux des cycles supérieurs, ceux qui vont au Beach Club, à Osheaga, à Juste pour ados, ceux qui ont déjà entendu les mots « Billie Eilish », bref ceux qui se trouvent dans la tranche magique du 18-34 ans. 

Ça fait tellement longtemps que j’entends parler d’eux - ces fameux 18-34 ans - que la première cohorte ciblée à l’époque où j’étais à La Presse est probablement en train de planifier sa retraite aujourd’hui. 

 

Mais je ne compte plus les initiatives lancées pour « aller chercher les jeunes ». Mon parcours professionnel m’a d’ailleurs permis de suivre de près et même de participer à ces nombreux et louables efforts. 

Rad, URBANIA, VICE, Le D Lab, Tabloïd etc. : plusieurs ont cherché (souvent avec brio) de nouvelles méthodes pour vendre l’information aux jeunes, en vulgarisant, en présentant les reportages de manière dynamique à coup de stories Instagram, de pop-over et d’explainer avec des sacs de patates pour rendre le contenu attrayant. 

 

Et ça fonctionne ? Aucune idée. La FPJQ ne me paye pas assez cher pour que je pousse mes recherches ni mes efforts plus loin qu’un article rédigé en ce dimanche glacial, pendant que mes enfants font un combat au sabre laser généreux en décibels dans le salon. 

Ils ont 7 et 11 ans et rien sauf YouTube et Fortnite n’ont encore réussi à « aller les chercher ». 

 

Mais les GAFAM sont là pour rester. If you can’t beat them, join them.

La plupart des médias qui veulent éviter une sortie de route dans leur virage numérique ont embauché des employés responsables du développement des audiences sur les réseaux sociaux.  

C’est d’ailleurs le meilleur (seul ?) endroit pour aller chercher les jeunes à l’heure actuelle. Pas sur Facebook (le réseau social de leurs parents et leurs grands-parents), mais plutôt sur Instagram et désormais Tik Tok. 

Les jeunes passent beaucoup de temps sur un écran, alors comment les faire migrer du compte d’Alanis Désilet (277K) vers La Presse +, Le Journal de Québec ou L’actualité ? Là est la question. 

 

En attendant la réponse, j’ai l’impression que certains médias ont déjà jeté la serviette, préférant consolider leurs acquis, encore solides. Une solution à court terme. Les baby-boomers n’arrêtent pas de vieillir.  

 

Quant aux marques s’adressant aux jeunes, elles sont souvent gérées ou emploient des gens d’à peu près mon âge. Tsé c’est pas en portant une tuque ou en slammant un peu on cam que tu vas réussir à te faire passer pour un ado de 15 ans yo. 

 

Je n’ai pas de solution. Je n’en fais sans doute pas partie d’ailleurs, en bossant pour un média qui veut « aller chercher les jeunes ».  

Je juge tout le monde – je m’inclus – qui fait des stories ou des effets Boomerang passés 30 ans, mais je réfléchis à ça quand même, en attendant d’être passé date. 

 

Dans des moments de grand optimisme, j’aime penser que l’obsession d’« aller chercher les jeunes » est, au final, un exercice infantilisant et futile. 

Peut-être que les jeunes sont pas si cons finalement et qu’on a pas besoin de s’adresser à eux avec un ton spécial pour capter leur attention. 

Peut-être qu’ils se disent qu’ils passent tellement de temps à regarder des stories stupides de PO Beaudoin dans un taxi qu’ils aiment ça se taper un bon reportage de temps en temps, sans pop-over gossants. 

 

Peut-être qu’une bonne histoire va toujours trouver son chemin, peu importe la forme ou l’âge de la personne qui la produit et la consomme. 

Peut-être que la difficulté à rejoindre les jeunes est une excuse facile au fait qu’on a du mal à se renouveler et proposer des reportages qui les intéressent vraiment. 

 

Peut-être qu’un(e) journaliste vieillissant(e) ne devrait pas être discriminé(e) sur son âge, mais seulement sur sa pertinence. Tu peux être ennuyant comme la pluie à 23 ans et stimulant comme le Pogo ball en 1983 à 52 ans non ? 

 

Peut-être qu’on pourrait aussi arrêter d’utiliser des jeunes pour faire des reportages « de jeunes » sur le rap, la van life ou le skate, mais juste pour faire des reportages. Des bons idéalement. 

 

Peut-être qu’on pourrait aussi donner des jobs à des personnes racisées, au lieu de les inviter dans nos reportages comme décoration pour pimper notre diversité.  

 

Sur ce, en attendant d’être tabletté, je vais allez boire une tisane en feuilletant le Bel Âge.

 

*J’imagine que l’utilisation de l’expression « phoney baloney » aide pas ma cause. 

 

-30-

 

Diplômé en littérature, Hugo Meunier s’est tourné vers le journalisme pour payer son loyer. Après avoir couvert les conflits au Liban et en Afghanistan, il s’est découvert une passion pour le journalisme d’immersion.
Il a été journaliste à La Presse, puis Directeur de la production de contenus numériques au Journal de Montréal. Il est maintenant journaliste à Urbania.

 

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.

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