Billets

Depuis janvier 2018, vous retrouvez chaque semaine, à la fin de votre lettre InfoFPJQ, sous la plume de journalistes et chroniqueurs bien connus, un point de vue ou une analyse sur l’actualité médiatique.

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.

Dans l’œil de la tornade

Par Isabelle Paré

 

Pour plusieurs d’entre nous, les dernières semaines auront été parmi les plus exigeantes et frénétiques de notre carrière de journaliste. Rarement, le métier que nous pratiquons ne nous aura paru aussi fondamental, aussi essentiel. Il aura fallu que le monde soit confronté à un de ses plus grands défis, pour que l’on reconnaisse enfin, ici du moins, l’importance capitale du rôle des médias, de l’accès à l’information en ces temps où des milliards d’êtres humains sont coupés de tous contacts avec leurs proches, leurs milieux de vie, leurs élus.

Depuis un peu plus de deux semaines, nous, journalistes, sommes devenus un service essentiel, au même titre que d’autres travailleurs propulsés au front, dans cette nouvelle normalité qui n’a rien de normal du tout.

Entrevues sur Skype (Merde, ça fige…), conférences de presse sur Facebook live (On n'entend rien!), mêlées de presse à distance, discussions sur Slack et réunions sur Zoom et Jiitsi (Allo ? T’es là ?) : nous devons réinventer nos façons de faire, nous qui sommes rompus aux contacts humains et dont l’essence consiste à embrasser de nos yeux le monde qui nous entoure. Nous naviguons maintenant à l’aveugle, dépendants de nos cellulaires pour rendre compte de la réalité.

 

Les intouchables

Depuis que la vie en confinement est rythmée par le point de presse du trio de choc Arruda-Legault-McCann, notre travail est scrupuleusement observé, commenté en direct par la population. Des collègues de la colline parlementaire, jugés trop cinglants dans leurs questions, sont houspillés sur les réseaux sociaux. Face à la tempête qui nous frappe, des citoyens décrient le supposé manque de solidarité des journalistes, ces fauteurs de troubles qui cherchent toujours la petite bête noire. Ceux qui reposent sans cesse les mêmes questions, encore et toujours. « M. Legault, n’était-ce pas une erreur d’avoir attendu après la semaine de relâche pour agir ? »

Cette question fondamentale, pierre angulaire de ce qui se joue aujourd’hui sous nos yeux, est restée sans réponse.

En pleine lune de miel, adulé dans les sondages, le premier ministre Legault continue de dire aux journalistes qu’il ne sert à rien de ressasser le passé, et qu’il est facile de jouer les « gérants d’estrade le lendemain ». Bref, qu’il faut se concentrer sur le présent, tourner la page, quoi. Se relever les manches et, en bon Québécois, propager la bonne nouvelle et répondre « présent » pour combattre l’épidémie.

Oui, les médias doivent sensibiliser le public et ils jouent, depuis le début, un rôle capital dans les efforts déployés pour contenir l’épidémie. Mais non, désolée, même en temps de crise, nous ne sommes pas les porte-voix de la triade de choc qui joue les généraux sur la colline.

Quand le directeur de la santé publique, Horacio Arruda, un être éminemment sympathique et bien intentionné, est élevé au rang d’icône sur les réseaux sociaux et voit sa tronche imprimée sur des chandails, restons critiques. Souvenons-nous des questions restées sans réponses. Et quand le même Horacio danse la salsa devant les caméras, alors qu’il ne reste plus que « pour quelques jours » de masques pour protéger nos travailleurs de la santé, par pitié, sortons les crocs.

Continuons à souligner à grands traits les incohérences de cette triade qui affirmait, il y a quelques jours encore, que le Québec avait en réserve « pour des semaines » de stocks. Et cela, au moment même où des infirmières et des médecins étaient propulsés sur la ligne de tir, sans l’équipement élémentaire pour protéger leurs vies et celles des patients.

 

Aujourd’hui, plusieurs citoyens, en quête d’un sauveur, boivent les paroles de nos élus, les blanchissent de tout blâme face à un enjeu planétaire qui, de toute façon, déjoue tous les gouvernements. Certains voudraient nous voir jouer les cheerleaders, les majorettes d’un pep talk collectif. Rabat-joie ? Certes, il faut le rester. Les médias doivent que plus jamais soulever les ratés, prévoir les écueils à venir, retracer les plus récentes données et faire prévaloir la science sur les discours officiels.

 

Nous sommes en guerre, répètent les élus. Or, les guerres et l’information n’ont jamais fait bon ménage. La vérité est souvent la première victime tombée au combat.

Au fur et à mesure que les chiffres grossiront, que les morts s’additionneront, que des personnalités connues commenceront à apparaître sur les avis de décès, la panique, compréhensible, gagnera la population. Nous ne devrons pas desserrer les dents, nous devrons continuer à marteler les mêmes questions, démêler et mettre au jour les faits, même quand ils seront effroyables, inconcevables, ou déprimants.

Les faits, rien que les faits.

 

-30-

 

Isabelle Paré est journaliste au Devoir depuis 30 ans. Diplômée en droit, elle a assuré la couverture de plusieurs secteurs de l’actualité au fil des ans, dont la politique municipale, les affaires sociales, l’éducation, la santé et la culture. Elle supervise et participe aujourd’hui à l’élaboration du contenu des dossiers hebdomadaires. Avec un intérêt accru pour les reportages de fond, elle continue de couvrir divers sujets d’actualité. Elle a remporté un prix Judith-Jasmin («Reportage long – Presse écrite») en 2000.

 

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.

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