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Depuis janvier 2018, vous retrouvez chaque semaine, à la fin de votre lettre InfoFPJQ, sous la plume de journalistes et chroniqueurs bien connus, un point de vue ou une analyse sur l’actualité médiatique.

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.

Manque de travailleurs, meilleures conditions à venir ?

Par René Vézina 

Vue au comptoir de la Boulangerie du Village, à Saint-Donat, mi-septembre, cette affiche : « La boulangerie n’échappe pas à la pénurie de main-d’œuvre… Nous attendons des visas pour 2 boulangers français pour compléter notre équipe… D’ici à ce qu’ils soient installés, la boulangerie restera fermée les mardis et mercredis…»

Des boulangers ? Français ? À Saint-Donat ? Eh oui. Cette fichue pénurie frappe partout, dans tous les domaines, même quand on s’y attendrait le moins. Et si cette savoureuse boulangerie connue partout dans les environs peine à faire agréer ici des renforts venus de la France, imaginez le reste…

 

La question aura été centrale dans la campagne électorale. Dès le départ, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante rappelait que, aux dernières nouvelles, on dénombrait 110 000 postes à pourvoir au Québec. Les PME sont les premières touchées, elles qui doivent en plus affronter la concurrence des grandes entreprises, elles aussi en manque de main-d’œuvre, mais qui disposent de meilleurs moyens et de meilleurs canaux. Sans compter les efforts de recrutement des administrations publiques qui voient des cohortes entières partir à la retraite.

 

Cet enjeu crucial pour l’avenir du Québec a été abordé en filigrane tout au long de la campagne électorale, mais il n’a malheureusement jamais été abordé dans son ensemble, ni par les politiciens, ni par les médias.

 

Apparemment, c’est un beau problème, mais qui risque de déstabiliser plus rapidement qu’on le penserait l’économie du Québec. Comment en sommes-nous arrivés là ? Deux facteurs sont en cause, qui se croisent.

 

On l’a dit et redit : le Québec vieillit. En 1941, on comptait 10 travailleurs pour 1 retraité. Le ratio est aujourd’hui de 5 pour 1 et, dans une génération, si rien ne change, il tombera à 3 pour 1. Par ailleurs, dans trois ou quatre ans, 25 % de la population québécoise aura 65 ans ou plus.

 

En même temps, l’économie du Québec est sur une belle lancée. Malgré des faiblesses dans des secteurs traditionnels, comme ce qui touche à la forêt, les efforts de diversification ont porté fruit, d’un bout à l’autre du spectre. Les technologies de l’information et des communications sont sur une belle lancée, autant que toute la filière agroalimentaire, sans oublier l’aéronautique, les mines, l’énergie. Une effervescence stimulante, mais encore lui faut-il trouver les appuis nécessaires pour qu’elle se projette dans l’avenir.

 

Si nous nous contentons de reproduire les modèles conventionnels de gestion de ce qu’il est convenu d’appeler les « ressources humaines », ce ne sera pas possible. 

 

Il va falloir innover. Et, en passant, l’innovation ne devrait surtout pas se limiter aux gizmos technos. Elle peut s’appliquer à toutes nos façons de faire. Pensons aux travailleurs dits « expérimentés ».

 

Quand ils arrivent à l’âge de la retraite, beaucoup ont le goût de continuer à s’occuper, par goût ou par besoin. Mais ils sont évidemment moins portés à bosser cinq jours par semaine, 11 mois par année. Il faut imaginer des horaires qui leur conviennent. C’est plus compliqué pour les directeurs des ressources humaines ou pour les patrons des ateliers, mais ça se fait.

 

À l’inverse, il existe quand même un imposant bassin de jeunes travailleurs à mettre en valeur. Certains, comme les aînés, vont exiger des horaires variables ou une conciliation travail-famille-loisir. Ce qui paraissait un caprice il n’y a pas longtemps devient une nouvelle réalité avec laquelle il faudra composer.

 

Et demeure cette épineuse question du décrochage scolaire, qui frôle encore les 20 %, plus accentué chez les garçons, surtout que les offres d’emploi abondent et incitent des jeunes à abandonner prématurément leurs études. Faute de compétences reconnues, beaucoup ne seront jamais en mesure de satisfaire aux exigences de postes qui n’en demandent même pas beaucoup. Il ne faut pas baisser les bras à cet égard.

 

Il reste évidemment toute la question de l’immigration, ballottée tout au long de la campagne électorale et dominée par la numérologie. Faut-il 40 000 immigrants ? 50 000 ? 46 500 ? Leur faut-il parler français sur-le-champ ? Dans trois ans ? Par leurs enfants ?

 

À moins que le Québec ne connaisse un nouvel épisode de revanche des berceaux, ce renfort venu d’ailleurs est essentiel. 

 

Il existe ce qu’on appelle le taux de remplacement de la population, qui met en parallèle les départs à la retraite et l’arrivée – potentielle – de forces fraîches dans le marché du travail. À l’équilibre, il est de 100 : 100 partent, 100 arrivent. Or, dans quelques années, seule la région de Montréal présentera un taux supérieur à 100. Toutes les autres tomberont en dessous. Pour la Gaspésie et les îles de la Madeleine, il sera à peine de 50 !

 

Oui, il y a toujours l’automatisation, elle prendra de l’importance et permettra de combler des vides. Mais il faudra investir. Pire, elle ne convient pas partout. Le secteur de l’horticulture ornementale et de l’architecture de paysage fait face lui aussi à une pénurie. Les entreprises peuvent déjà imaginer sur écran le design des aménagements. Mais avant qu’on ne confie le travail à des robots… 

 

De là une des possibles conclusions : il faudra offrir davantage aux futurs travailleurs. Meilleurs salaires, meilleures conditions de travail. Le débat sur le salaire minimum à 15 dollars l’heure pourrait fort bien se régler par lui-même, sans autre intervention réglementaire… 

 

René Vézina est chroniqueur économique à la radio de Radio-Canada. 

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.

 

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