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Depuis janvier 2018, vous retrouvez chaque semaine, à la fin de votre lettre InfoFPJQ, sous la plume de journalistes et chroniqueurs bien connus, un point de vue ou une analyse sur l’actualité médiatique.

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.

Et la culture, bordel ?

Par Nathalie Collard

Jacques Chirac n’était pas le plus intellectuel des présidents français. Pourtant, lorsqu’il est décédé, celui qui a également été maire de Paris a été l’objet de nombreux témoignages provenant du monde de la culture. Les éditeurs ont souligné son amour des livres (il en a publié quelques-uns et avait visité le Salon du livre de Paris à plusieurs reprises lorsqu’il était président). On a rappelé qu’il avait créé le musée du quai Branly (qui porte aujourd’hui son nom), et qu’il avait également donné son nom à une fondation dont la mission est de préserver les langues rares et les spécificités culturelles menacées. Bref on peut dire que Jacques Chirac avait la culture à cœur.

Cette relation chaleureuse entre un politicien et le monde culturel m’a d’autant plus frappée qu’à moins de 20 jours des élections fédérales, je constate que la culture est la grande absente de cette campagne électorale. Comme je suis journaliste à la section culturelle d’un grand quotidien, j’y suis particulièrement sensible. 

Bien sûr, il y a eu ce débat organisé par Culture Montréal, en partenariat avec le département de communication de l’Université de Montréal, le Pôle médias HEC Montréal et l’École des médias de l’UQAM. Mais à y regarder de plus près, de quoi a-t-il été question au juste lors de cet échange ? 

 

D’éventuelles taxes (pour les géants du web) et de l’aide financière (à la presse écrite et à Radio-Canada). En d’autres mots, on a surtout parlé d’argent. 

 

Qu’on me comprenne bien, je sais que l’argent demeure le nerf de la guerre. Comme le martèle la Coalition pour la diversité des expressions culturelles depuis le début de cette campagne, pour que la nouvelle réalité numérique soit équitable, il faut que « tous les acteurs qui tirent profit des créations culturelles garantissent des revenus et du financement adéquats pour assurer sa pérennité et son épanouissement ». On s’entend, sans argent, les créateurs ne survivront pas. 

 

Ce qui me trouble c’est de constater à quel point nos politiciens semblent plus à l’aise devant des colonnes de chiffres que devant un tableau, une pièce de théâtre ou un numéro de danse moderne. 

 

Un chef de parti en campagne n’hésitera pas à se faire photographier en pleine séance de jogging, ou un bébé dans les bras. 

 

Mais a-t-on déjà vu un candidat dans une galerie d’art ? Au ballet ? Dans un musée ? Je n’ai aucun souvenir de cela. 

 

Je ne me souviens pas non plus avoir entendu l'un des chefs d’un parti fédéral partager avec nous sa dernière lecture. Ou nous parler de son philosophe préféré. Ou de la dernière pièce de théâtre à laquelle il a assisté. 

 

Je serais curieuse de savoir quel livre se retrouve sur la table de chevet de Andrew Scheer. Quel est le peintre préféré de Justin Trudeau ? L’album que Elizabeth May écoute en boucle ? 

 

Car la culture est bien davantage qu’un poste budgétaire. C’est une façon de penser, d’appréhender le monde. C’est une manière de vivre. 

 

Lundi, le Partenariat canadien pour la production des débats (PCPD) a présenté les thèmes qui seront abordés lors des deux débats des chefs, les 7 et 10 octobre prochain. Le mot culture n’apparaît nulle part, ni en français ni en anglais. On en parlera peut-être lorsqu’on débattra d’identité ou d’immigration, mais il semble que les organisateurs de ces deux moments forts de la campagne n’ont pas cru bon en faire un thème en soi. Il faut dire que pour bien des gens, la culture c’est au pire un sujet léger, au mieux un luxe qu’on s’offre quand on a le temps. Ces esprits chagrins la considèrent davantage comme un divertissement… 

 

Soudain, je me surprends à envier la France où presque tous les politiciens sont capables, sans aucune gêne ou fausse modestie, de discuter philosophie, peinture, littérature ou musique. 

 

Quand on y pense, même les politiciens américains entretiennent une certaine relation avec la culture : chaque président qui termine son mandat ne fait-il pas ériger une bibliothèque à son nom lorsqu’il quitte la Maison-Blanche ? C’est tout de même un geste culturel fort. Je pense aussi à Barack Obama qui, chaque année, publie la liste de ses lectures préférées (j’ai remarqué que François Legault partage lui aussi ses coups de cœur littéraires sur Twitter, à l’occasion). 

 

Bref, en général, la culture est encore vue comme quelque chose d’élitiste qui pourrait rendre un politicien suspect, l’éloigner du « monde ordinaire ». Et cette campagne électorale ne changera malheureusement pas cette fausse perception. 

 

-30-

Nathalie Collard est journaliste depuis plus de 25 ans, à l’emploi de La Presse depuis 2001. Elle a couvert le secteur des médias durant de nombreuses années, et ce, pour plusieurs publications. Elle est également l’auteure de plusieurs essais.   

 

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteure. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.  

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