Billets

Depuis janvier 2018, vous retrouvez chaque semaine, à la fin de votre lettre InfoFPJQ, sous la plume de journalistes et chroniqueurs bien connus, un point de vue ou une analyse sur l’actualité médiatique.

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.

De la bière et des entreprises médiatiques

Par Nicolas Langelier

Ma découverte des charmes de la bière (et des misères qui viennent avec) s’est faite durant la deuxième moitié des années 1980. À l’époque, l’offre domestique se résumait essentiellement à une poignée de grandes brasseries : Molson, Labatt et Carling O’Keefe. Oh, il y avait beaucoup de bières différentes—mais elles goutaient pas mal toutes la même chose. La seule raison de penser que la Brador était de meilleure qualité, c’est qu’on le disait dans l’annonce (il y avait aussi du papier métallique doré autour du goulot, ce qui devait bien être un signe d’excellence).

Ces grandes brasseries étaient dirigées par des hommes (ne soyons pas anachroniques) qui avaient bien peu d’intérêt pour la confection et les nuances gustatives de leurs bières. Ce n’étaient pas des artisans, c’est le moins qu’on puisse dire. Ce qui comptait, c’était les parts de marché, les profits, et les titres symboliques comme « bière la plus vendue au Canada » et « bière des partisans des Nordiques ». 

 

Mais c’était sur le point de changer. À cette époque sont nées de petites brasseries artisanales—Cheval blanc, Boréale, McAuslan et d’autres—qui allaient révolutionner à la fois nos habitudes de consommation et la sensibilité de nos palais. Les jours dorés de la Brador étaient derrière elle. 

 

Cette introduction est en fait une laborieuse métaphore pour illustrer l’idée que je souhaite amener, dans ce premier billet : il est un peu en train de se passer la même chose, dans le monde des médias. Les artisans ont commencé à tasser les traditionnels hommes (et femmes, dorénavant) d’affaires. 

 

Nous en sommes actuellement à terminer le prochain numéro du Trente (très hâte que vous voyiez cette nouvelle mouture, complètement repensée). Pour cette édition, j’ai demandé à Jean-Hugues Roy et Marc-André Sabourin de produire un schéma de la propriété de la presse au Québec. Et le graphique confirme ce que nous sentons tous instinctivement depuis un moment : les choses changent. Pour décrire ce qui s’est passé dans le monde des hebdos, par exemple, Jean-Hugues parle même de déconcentration. 

 

Plusieurs des conglomérats médiatiques formés lors du siècle dernier sont en cours de liquidation de leurs actifs, ici et ailleurs dans le monde. D’accord, on ne peut ignorer le fait que c’est parce que plusieurs investisseurs ont simplement lancé la serviette, pour tout ce qui touche à la presse. Ni celui que d’autres géants se sont imposés, ceux qu’on appelle GAFA. Et il reste beaucoup d’empires convergents, bien sûr, et la concentration de la presse demeure un problème. 

 

Mais ces géants doivent maintenant cohabiter avec un nouvel écosystème de médias indépendants qui arrivent de plus en plus à tirer leur épingle du jeu. Des magazines papier, des publications numériques, des entreprises qui se consacrent aux balados ou à la vidéo. C’est même à une nouvelle sorte de consolidation que nous assistons présentement. Par exemple, il y a trois semaines, le magazine New York a été acheté par Vox, un média jusqu’alors uniquement numérique. Voilà une véritable synergie, susceptible d’apporter une réelle valeur aux différentes composantes du groupe. 

 

Bref, il y a de l’espoir. 

 

Comme les dirigeants des grandes brasseries qui n’ont pas su s’adapter, les patrons de presse sans vision sont condamnés à disparaitre. C’est ce qui s’est passé avec Capitales Médias, pour ne donner qu’un exemple (si vous êtes capable de me décrire la vision de Martin Cauchon, je vous paie une O’Keefe millésimée). 

 

Il s’avère que j’écris ce billet depuis Portland, en Orégon. C’est ici qu’est né le mouvement des bières artisanales, au début des années 1980. Et le résultat, près de 40 ans plus tard, est extraordinaire. Dans le moindre dépanneur de station-service, les frigos sont remplis de bières de microbrasseries. Même chose dans les pubs, bars et restaurants. Il y a de bonnes chances qu’il vous soit plus difficile de trouver ici une Miller Lite que la lager de la brasserie Deschutes (nos ancêtres voyageurs ont laissé leur marque sur la toponymie du nord-ouest Pacifique). Le bar de mon hôtel offre trois bières : la Crux IPA, la Caldera Porter et quelque chose qui s’appelle Pelican Sea’N Red Ale. 

 

Souhaitons-nous la même diversité et richesse dans notre univers médiatique : des entreprises de toutes les tailles et de toutes les formes juridiques, établies dans toutes les régions du Québec et s’intéressant aux sujets les plus variés ? Des entreprises qui ont plus à coeur la qualité de ce qu’elles produisent que le retour sur investissement aux actionnaires—sans jamais pour autant négliger la viabilité financière, cela dit, et sans compter uniquement sur l’aide gouvernementale et les dons pour survivre. 

 

Aux artisans que nous sommes : santé ! 

 

-30-

 

Journaliste et chroniqueur depuis plus de 20 ans, Nicolas Langelier est le fondateur et rédacteur en chef de Nouveau Projet, qui a remporté pour une deuxième fois le titre de magazine de l’année aux plus récents Prix du magazine canadien. Il est aussi le nouveau rédacteur en chef du Trente.

 

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.

Photo : Julie Artacho

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