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Depuis janvier 2018, vous retrouvez chaque semaine, à la fin de votre lettre InfoFPJQ, sous la plume de journalistes et chroniqueurs bien connus, un point de vue ou une analyse sur l’actualité médiatique.

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.

Comment ça va?

Par Hugo Meunier

C’est la question que se font apparemment poser en boucle les nombreux artisans des quotidiens régionaux du Groupe Capitales Médias, qui a entamé le mois dernier des procédures pour déclarer faillite.

C’est d’ailleurs exactement la question que je voulais poser à mes camarades travaillant pour ces journaux indispensables éparpillés aux quatre coins de la province. C’est ce qui manquait aussi, à mon avis, à l’intense couverture entourant les difficultés financières sans précédent de l’ex Gesca, acquise en 2015 par Martin Cauchon.

On a fait les manchettes avec l’aide d’urgence de 5 millions du gouvernement Legault, servant à aider l’entreprise à se rendre au décompte du nouvel an.

On a aussi fait les manchettes avec l’intérêt de Pierre-Karl Péladeau de racheter l’entreprise, conditionnellement au limogeage du deux tiers des 350 employés de GCM, une aide gouvernementale pour indemniser les employés congédiés et l’élimination d’une dette de 10 millions de dollars.

Enfin, on a surtout fait les manchettes avec la Commission parlementaire qui se penchait simultanément sur l’avenir incertain des médias, toile de fond circonstantielle mais surtout symptôme direct de l’exode des revenus publicitaires vers les géants du web.

Interminable préambule, donc, pour en venir à la question qui me taraude l’esprit depuis le début : comment ça va, vous, les centaines d’employés de ces journaux ? J’ai posé la question à quelques collègues qui font face à une musique qui commence à sonner comme celle de l’orchestre du Titanic.

Marie-France Létourneau écrit dans La Voix de l’Est depuis 23 ans. « Le temps passe vite », philosophe la journaliste, qui couvre le municipal depuis plusieurs années déjà. Elle était en vacances quand la nouvelle d'une menace de faillite est tombée. « Ça saisit, ça fait peur, mais rapidement on s’est tous serré les coudes. Il y a toujours des gens plus angoissés, mais l’ambiance n’est pas au désespoir », raconte Marie-France, qui observe un vent de solidarité chez les lecteurs, un baume surtout lorsqu’on sait que ces derniers sont souvent plus prompts à écrire aux journalistes pour leur reprocher des choses. « Ils nous disent : on ne veut pas que ça ferme ! Il y en a même un qui organise un sit-in devant le journal samedi et qui fera signer des engagements de s’abonner », souligne la reporter, qui a aussi couvert de l’intérieur le verglas en 1998, en plus d’avoir co-écrit un livre sur le plein air.

Elle s’inquiète de l’impact que pourrait avoir la disparition des journaux sur la santé démocratique d’une région. « C’est pas le Journal de Montréal ou d’autres médias nationaux qui vont nous couvrir. Si on disparait, c’est un trou dans l’information », craint la journaliste, rappelant que La Voix de l’est est ironiquement plus lue que jamais.

Petit aparté pour ajouter que, lors de mon passage à La Voix de l’Est au début du millénaire (je portais un collier en bois et me rendais au travail au volant d’une « rutilante » Cavalier turquoise), le lectorat du petit quotidien était déjà un des plus engageants du groupe. On savait par contre aussi qu’il n’était pas la priorité des journaux du défunt groupe Gesca et l’éditeur Guy Crevier nous le rappelait à coup d’analogies marines lorsqu’il faisait des visites. Un jour, il nous avait réunis dans une salle pour nous expliquer à quel point La Presse était le vaisseau amiral de la flotte… sous-entendant un peu que nous étions les chaloupes qui ramaient derrière elle.

Enfin. Tout ça pour dire que les inquiétudes entourant l’avenir des journaux du groupe ne datent pas d’un mois.

Elles remontent à assez longtemps pour amener plusieurs employés à remettre leur CV à jour et à réfléchir à des plans B.

« On y pense, c’est sûr, mais je continue d’aimer ça et l’intérêt pour le métier est encore très fort » résume Marie-France, sur une note d’espoir.

À 200 kilomètres de là, la chroniqueuse Mylène Moisan l’affirme sans détour : « je vais être celle qui va éteindre la lumière à la fin ».

Employée au Soleil depuis 20 ans, elle avoue avoir trouvé difficile d’apprendre la nouvelle des nouveaux déboires du groupe pendant ses vacances, loin de la salle et de ses camarades. « Mais là, on sent la solidarité des lecteurs, beaucoup, une prise de conscience aussi. Ça fait du bien », confie Mylène, qui ne demande aucune charité mais simplement le droit d’être rétribué pour les contenus produits.

Elle cite en exemple une chronique touchante consultée deux millions de fois et une autre qui a forcé des améliorations dans le système de santé. « On fait vraiment une différence dans la vie des gens. Alors c’est fâchant d’entendre : les journaux à Desmarais ou à Péladeau, alors que c’est les journalistes qui font le travail », déplore Mylène Moisan, la chroniqueuse et auteure, qui a notamment signé le livre Maman est une étoile.

« C’est la question qu’on me pose le plus souvent », réplique Julien Paquette, journaliste au Droit, lorsque je lui demande comment il va, au bout du fil.

Généraliste depuis six ans, il vient tout juste de commencer à travailler au beat municipal. « On était sous le choc quand la nouvelle est tombée, on suivait ça à la télé, inquiets. Mais t’as quand même un journal à sortir le lendemain », souligne le journaliste, qui a senti un vent de solidarité de la part des lecteurs « des deux bords de la rivière ».

S’il essaie de rester optimiste, Julien avoue réfléchir parfois à un plan B. « Ce n’est pas nouveau que ça va mal, alors je me garde une porte de sortie. Faut penser à nous aussi là-dedans »

Généraliste au Nouvelliste depuis dix ans, Gabriel Delisle aussi a l’impression que la tempête souffle depuis déjà fort longtemps. « On a fait d’énormes compressions, on a modernisé notre façon de faire, on a eu beaucoup de départs à la retraite anticipée, on a coupé, rationalisé, on s’est serré la ceinture tout en maintenant notre volonté d’être efficace », énumère le journaliste de 37 ans, qui est père d’un bébé et n’a pas vraiment de plan B en cas de fermeture définitive. « J’ai fini l’école il y a 15 ans et ça ne me tente pas vraiment d’y retourner. Au pire, je m’inspirerais de toi dans ton projet de tour du monde en famille ! », lance le journaliste.

Bonne idée mon Gab, la meilleure de ta vie même, mais c’est pas un projet ben ben payant par contre…

 

Diplômé en littérature, Hugo Meunier s’est tourné vers le journalisme pour payer son loyer. Après avoir couvert les conflits au Liban et en Afghanistan, il s’est découvert une passion pour le journalisme d’immersion.
Il a été journaliste à La Presse, puis Directeur de la production de contenus numériques au Journal de Montréal. Il est maintenant journaliste à Urbania.

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.

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