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Depuis janvier 2018, vous retrouvez chaque semaine, à la fin de votre lettre InfoFPJQ, sous la plume de journalistes et chroniqueurs bien connus, un point de vue ou une analyse sur l’actualité médiatique.

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteur. La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.

Climat et médias : poursuivons le débat !

Par André Noël

Je maintiens que l’extrême gravité du réchauffement climatique, et non seulement le réchauffement, est un fait et pas une opinion. Luc écrit que « nous ne sommes pas à proprement parler dans une crise climatique ». Il déplore que les médias ne parlent pas des effets positifs des changements climatiques, qui seraient « potentiellement nombreux ». Je crois qu’il se trompe. Je lui rends ici ses uppercuts et ses crochets, dans le même esprit sportif qui imprègne sa lettre, dure mais dépourvue de coups fourrés. Je suis heureux qu’il réponde à l’invitation que j’ai lancée à la profession : il y a un intérêt déontologique à débattre de cette question. J’espère que d’autres collègues se prononceront.

 

En bon boxeur gentleman, Luc me cite comme il faut et frappe au-dessus de la ceinture. J’appelle en effet les médias à cesser de diffuser des textes niant la gravité de la crise climatique, car de telles négations sont des leurres, malheureusement très répandus, qui nuisent à une urgente prise de conscience. À première vue, cet appel peut sembler une hérésie. La neutralité est un principe déontologique essentiel. Mais l’exercice de ce principe ne doit pas se faire au détriment des faits, de la vérité et de l’intérêt public.

 

Il serait irresponsable de la part d’un média de publier des chroniques affirmant que les dangers du tabac pour la santé sont exagérés. Ces publications sèmeraient le doute. Des fumeurs seraient confortés dans l’idée qu’après tout, il ne leur est pas vraiment nécessaire d’arrêter de fumer. Il n’y a pas si longtemps, des chroniqueurs frappaient d’anathème les « ayatollahs » qui menaient des campagnes antitabac. Cette pratique a heureusement cessé.

 

Comme on sait, le lobby du carbone a commencé par nier la réalité du réchauffement. Il présentait cette « thèse » comme une opinion. Voulant garder un minimum de crédibilité, il doit maintenant reconnaître que c’est un fait. Changement de tactique : il en nie la gravité. Ses relationnistes et ses défenseurs (comme le premier ministre australien) accusent les sonneurs d’alarme d’être « alarmistes » et d’avoir une vision « apocalyptique ». Ils présentent la « thèse » de la catastrophe comme une opinion. Ce discours a un fort pouvoir d’influence, semble-t-il, même auprès de journalistes aguerris. Somme toute, peut-être pouvons-nous continuer à extraire et brûler du charbon, du pétrole et du gaz sans trop de souci.

 

Le risque de catastrophe est pourtant avéré. Aujourd’hui, aucune revue scientifique sérieuse ne publierait un article affirmant le contraire. Elles notent plutôt que les climatologues se sont trompés sur l’ampleur du risque. « Les sceptiques et les négationnistes du climat ont souvent accusé les scientifiques d’exagérer le danger du changement climatique, mais les preuves montrent que non seulement ils ne l’ont pas exagéré, mais qu’ils l’ont sous-estimé », peut-on lire dans une livraison récente de Scientific American.

 

Les écologistes ne sont pas seuls à dire que la crise climatique fait courir un danger sans précédent à l’humanité. C’est le constat d’organismes aussi peu gauchistes que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. C’est aussi ce que reconnaissent les chefs d’État qui adhèrent encore, en grande majorité, à l’Accord de Paris. « La survie de notre planète est en jeu », a déclaré François Legault dans son discours suivant son élection. La survie : que faut-il de plus pour qualifier une crise de « grave » ? Le FMI soutient qu’elle est « réelle et urgente » et exhorte les pays à prendre des mesures radicales pour y faire face.

 

Les scientifiques en sont venus à un consensus non seulement sur la réalité du réchauffement, mais aussi sur le fait qu’on se dirige vers un monde quatre degrés plus chaud, avec des conséquences bel et bien catastrophiques. « Je ne connais aucun scientifique en désaccord avec ce constat », a déclaré le climatologue Mark Maslin à la COP19 de Varsovie. Son collègue Kevin Anderson ajoute qu’il est très difficile de trouver un scientifique qui considère ces quatre degrés « comme autre chose qu’une catastrophe ». « Quelle est la différence entre deux degrés et quatre degrés ? La différence, c’est la civilisation humaine », soutient John Schellnhuber, l’un des climatologues les plus éminents. Selon la Banque mondiale, la trajectoire actuelle nous mène à un réchauffement de quatre degrés d’ici 40 ans, avec une chute draconienne des rendements agricoles.

 

Contrairement à ce qu’affirme Luc, ce n’est pas une crise appréhendée. Avec un réchauffement d’un seul degré, cette crise frappe déjà très fort. Ce n’est pas une lubie de journaliste friand de mots accrocheurs. « Le changement climatique pousse des millions de personnes dans le cercle vicieux de l’insécurité alimentaire, de la malnutrition et de la pauvreté », souligne l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. Je pourrais multiplier ce genre de citations sur des pages et des pages.

 

De deux choses l’une : ou bien la gravité du réchauffement est un fait, ou bien c’est une opinion. Luc pense que c’est une opinion. Je soutiens que c’est un fait. Tel est le cœur du débat. Si c’est une opinion, ouvrons nos pages et donnons le micro aux propos des néo-climatosceptiques qui nient cette gravité. Nous finirons bien par voir qui a raison. Mais si nous sommes déjà convaincus que c’est un fait, fermons-leur la porte.

 

Les médias remplissent leur mission en servant de lieux de débats sur la laïcité, la privatisation de la santé, les politiques d’austérité, etc. Les textes sur ces sujets sont des opinions : ici, personne ne peut prétendre détenir la vérité. Mais les médias ne publient pas des chroniques, des textes ou même des lettres disant que le tabac n’est pas nocif, que la terre est plate ou que l’homosexualité est une maladie. Publier de telles inepties serait honteux. Les gens ont le droit de dire que la terre est plate. Ce qui ne signifie pas qu’il faut leur offrir une tribune.

 

Personne n’accuse de censure les revues scientifiques qui refusent de publier des articles niant la gravité de la crise climatique. Ces revues suivent cette ligne de conduite parce qu’elles cherchent à établir la vérité, et non pas à propager ce qu’elles savent être des faussetés. Pourquoi les médias de masse agiraient-ils autrement ? Ne faut-il pas accorder notre crédibilité aux experts du climat plutôt qu’aux économistes de think tanks financés directement ou indirectement par le lobby du carbone ? Ces derniers sont engagés dans une campagne de propagande visant à minimiser l’urgence de diminuer les émissions de GES tel que le réclame le GIEC. Ne pas relayer cette propagande est la moindre des choses. La dénoncer est dans l’intérêt public.

 

-30- 

 

André Noël a été journaliste à La Presse pendant près de 30 ans. Ses nombreuses enquêtes lui ont permis de remporter cinq fois le prix Judith-Jasmin, deux fois le Concours canadien de journalisme, le prix Michener du Gouverneur général et le prix du Centre canadien pour le journalisme d'enquête. Il a aussi été enquêteur et rédacteur à la commission Charbonneau.

 

Les propos reproduits ici n’engagent que l’auteur(e). La FPJQ ne cautionne ni ne condamne ce qui est écrit dans ces textes d’opinion.

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